Méditation avec Le Traité de l'Amour de Dieu de St François de Sales 28 mars
CHAPITRE XI
Qu'il y a deux portions en l'âme, et comment.
Nous expérimentons (nous constatons par lexpérience que nous avons...) tous les jours d'avoir plusieurs volontés contraires. Un père envoyant son fils, ou en la cour, ou aux études, ne laisse pas de pleurer en le licenciant, témoignant qu'encore qu'il veuille selon la portion supérieure le départ de cet enfant pour son avancement à la vertu, néanmoins selon l'inférieure il a de la répugnance à la séparation; et quoi qu'une fille soit mariée au gré de son père et de sa mère, si est-ce que (toujours est-il que) prenant leur bénédiction, elle excite les larmes; en sorte que la volonté supérieure acquiesçant à son départ, linférieure montre de la résistance.
Or, ce n'est pas pourtant à dire qu'il y ait en l'homme deux âmes ou cieux natures, comme pensaient les Manichéens. Non dit saint Augustin, livre huitième de ses Confessions, chapitre dixième, ains la volonté alléchée par divers attraits, émue par diverses raisons, semble être divisée en soi-même, tandis quelle est tirée de deux côtés, jusques à ce que prenant parti selon sa liberté, elle suit ou l'un ou l'autre; car alors la plus puissante volonté surmonte, et gagnant le dessus, ne laisse à l'âme que le ressentiment du mal que le débat lui a fait, que nous appelons contre-coeur.
Mais l'exemple de notre Sauveur est admirable pour ce sujet, et après la considération duquel il n'y a plus à douter de la distinction de la portion supérieure et inférieure de l'âme; car qui ne sait-entre les théologiens qu'il fut parfaitement glorieux dès l'instant de sa conception au sein de la Vierge?
Et néanmoins il fut à même temps sujet aux tristesses, regrets et afflictions de coeur, et ne faut pas dire qu'il souffrit seulement selon son corps, ni même selon l'âme, en tant qu'elle était sensible, ou, ce qui est la même chose, selon les sens; car lui-même atteste qu'avant qu'il souffrît aucun tourment extérieur, ni même qu'il vit les bourreaux auprès de soi, son âme était triste jusquà la mort. Ensuite de quoi il fit la prière que le calice de sa passion fût transporté de lui, c'est-à-dire, qu'il en fût exempt :
en quoi il exprime manifestement le vouloir de la portion inférieure de son âme, laquelle discourant sur les tristes et angoisseux objets de la passion qui lui était préparée, et de laquelle la vive image était représentée en son imagination, il en tira, par une conséquence très raisonnable, la fuite et l'éloignement d'iceux, dont il fait la demande à son Père, par où on remarque clairement que la portion inférieure de l'âme n'est pas la même chose que le degré sensitif d'icelle, ni la volonté inférieure une même chose avec l'appétit sensuel ; car l'appétit sensuel, ni l'âme, selon son degré sensitif, ne sont pas capables de faire aucune demande ni prière, qui sont des actes de la faculté raisonnable, et particulièrement ils ne sont pas capables de parler à Dieu, objet auquel les sens ne peuvent atteindre pour en donner la connaissance à l'appétit.
Mais ce même Sauveur, ayant fait cet exercice de la portion inférieure, et témoigné que, selon icelle et les considérations qu'elle faisait, sa volonté inclinait à la fuite des douleurs et des peines, il montra par après qu'il avait la portion supérieure, par laquelle adhérant inviolablement à la volonté éternelle et au décret que le Père céleste avait fait, il accepta volontairement la mort, et non obstant la répugnance de la partie inférieure de la raison, il dit:
Ah ! non, mon Père, que ma volonté ne soit pas faite, ains la vôtre. Quand il dit ma volonté, il parle de sa volonté selon la portion inférieure, et d'autant qu'il dit cela volontairement, il montre qu'il a une volonté supérieure.