Méditation avec L'introduction à la vie dévote de St François de Sales 11 décembre
CHAPITRE XXIII
DES EXERCICES DE LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE
Ce dirais volontiers comme saint Jérôme dit à la bonne dame Léta: « Les jeûnes longs et immodérés me déplaisent bien fort, surtout en ceux qui sont en âge encore tendre. J'ai appris par expérience que le petit ânon, étant las en chemin, cherche de s'écarter » ; c'est-à-dire, les jeunes gens portés à des infirmités par l'excès des jeûnes, se convertissent aisément aux délicatesses.
Les cerfs courent mal en deux temps: quand ils sont trop chargés de venaison et quand ils sont trop maigres. Nous sommes grandement exposés aux tentations, quand notre corps est trop nourri et quand il est trop abattu; car l'un le rend insolent en son aise et l'autre le rend désespéré en son mésaise; et comme nous ne le pouvons porter quand il est trop gras, aussi ne nous peut-il porter quand il est trop maigre.
Le défaut de cette modération ès jeûnes, disciplines, haires et âpretés rend inutiles au service de la charité les meilleures années de plusieurs, comme il fit même à saint Bernard qui se repentit d'avoir usé de trop d'austérité ; et d'autant qu'ils lont maltraité au commencement, ils sont contraints de le flatter à la fin.
N'eussent-ils pas mieux fait de lui faire un traitement égal, et proportionné aux offices et travaux auxquels leurs conditions les obligeaient?
Le jeûne et le travail matent et abattent la chair. Si le travail que vous ferez vous est nécessaire, ou fort utile à la gloire de Dieu, j'aime mieux que vous souffriez la peine du travail que celle du jeûne: c'est le sentiment de l'Eglise, laquelle, pour les travaux utiles au service de Dieu et du prochain, décharge ceux qui les font du jeûne même commandé.
L'un a de la peine à jeûner, l'autre en a à servir les malades, visiter les prisonniers, confesser, prêcher, assister les désolés, prier et semblables exercices cette peine vaut mieux que celle-là; car outre qu'elle mate également, elle a des fruits beaucoup plus désirables.
Et partant, généralement, il est mieux de garder plus de forces corporelles quil nest requis, que den ruiner plus quil ne faut; car on peut toujours les abattre quand on veut, mais on ne les peut pas réparer toujours quand on veut.
Il me semble que nous devons avoir en grande révérence la parole que notre Sauveur et Rédempteur Jésus-Christ dit à ses disciples : « Mangez ce qui sera mis devant vous. » C'est, comme je crois, une plus grande vertu de manger sans choix ce qu'on vous présente et en même ordre qu'on le vous présente, ou qu'il soit à votre goût ou qu'il ne le soit pas, que de choisir toujours le pire.
Car encore que cette dernière façon de vivre semble plus austère, l'autre néanmoins a plus de résignation, car par icelle on ne renonce pas seulement à son goût, mais encore à son choix ; et si, ce n'est pas une petite austérité de tourner son goût à toute main et le tenir sujet aux rencontres, joint que cette sorte de mortification ne paraît point, n'incommode personne, et est uniquement propre pour la vie civile.
Reculer une viande, pour en prendre une autre, pincer et racler toute chose, ne trouver jamais rien de bien apprêté ni de bien net, faire des mystères à chaque morceau, cela ressent un coeur mol et attentif aux plats et aux écuelles. J'estime plus que saint Bernard bût de l'huile pour de l'eau ou du vin, que s'il eût bu de l'eau d'absinthe avec attention; car c'était signe qu'il ne pensait pas à ce qu'il buvait.